Un homme du Gévaudan devenu guide spirituel de l’Europe
Guillaume Grimoard naît vers 1309 au château de Grizac, dans les Cévennes lozériennes. Fils de Guillaume Grimoard et d’Amphélise de Sabran, il grandit dans un territoire reculé, profondément ancré dans la foi chrétienne. Tout au long de sa vie, il conjugue humilité, érudition et action, jusqu’à accéder, en 1362, au pontificat sous le nom d’Urbain V. Dans ce village de montagne, il découvre très tôt les premières manifestations d’une foi sincère. Très attaché à sa terre natale, il fait construire plus tard une église à Grizac pour permettre à sa famille d’assister aux offices sans avoir à parcourir de longues distances. Bien que détruite lors des guerres de religion, cette église témoigne encore aujourd’hui de son lien profond avec sa paroisse d’origine.

Vers l’âge de 12 ans, après avoir reçu la tonsure des mains de l’évêque de Mende, il quitte le château familial pour poursuivre ses études à Montpellier, puis à Toulouse. Il y étudie le droit pendant quatre ans et obtient le bonnet de docteur. Son oncle, Anglic Grimoard, alors prieur du monastère de Chirac, l’initie à la vie bénédictine.
Le contexte historique : entre montagne et plaine, sur les chemins d’Urbain V
Le chemin d’Urbain V relie les hauteurs du Massif Central à la vallée du Rhône. Il va jusqu’à Avignon, alors siège pontifical. Ce trajet est abrupt et direct. Il était emprunté par Urbain V et les papes limousins du XIVe siècle.
Bien q'Urbain V ait passé une partie de son temps en Italie, il connaissait très bien certains tronçons du chemin. Il les a fréquentés depuis son enfance. Il a traversé la Haute Auvergne pour ses fonctions de vicaire général à Clermont Ferrand. Cela montre ses racines profondes et ses nombreux déplacements.
Son entourage utilisait aussi ces itinéraires. Ses messagers, cardinaux et clercs y circulaient pour leurs missions pontificales. Les cardinaux du Limousin, proches du pape, empruntaient ces routes. Ils assuraient la liaison entre leur pays natal et Avignon.
Entrée en Auvergne et Saint-Flour, carrefour stratégique
L’itinéraire passait par la seigneurie de l’évêque de Saint-Flour. Ce diocèse est récent, créé en 1317. Il a été divisé du grand diocèse de Clermont. Saint-Flour était une cité fortifiée. Elle est posée sur un site rocheux volcanique, naturellement protégé. C’est une clé stratégique entre la France et la Langue d’oc. La région vit dans un contexte de guerre et d’instabilité.
À cette époque, les routiers « anglais » ravagent la région. Ce sont des bandes armées qui pillent et rançonnent. Elles menacent les voies commerciales et les habitants. La ville appartient à l’évêque seigneur féodal. Elle est protégée par de solides murailles. Une milice locale veille à la défense.

Saint-Flour est un centre commercial et politique important. Sa position sur un axe nord-sud est vitale. Elle relie la montagne à la plaine. Les foires et marchés attirent de nombreuses marchandises. Vins et cuirs viennent du sud. Blés, fromages et bétail viennent des montagnes.
Cette région, que Guillaume Grimoard connaissait bien, était une étape clé.
De professeur à pape : une ascension inattendue
Après son ordination, Guillaume Grimoard mène une vie intellectuelle et spirituelle d’une rare intensité. Il enseigne le droit canon à Toulouse, à Montpellier puis à Avignon où il s’impose comme l’un des plus grands canonistes de son temps. Homme d’ordre et de réforme, il prend la tête de plusieurs abbayes, dont celle de Saint-Germain d’Auxerre, qu’il redresse aussi bien sur le plan spirituel que financier. En 1361, il devient abbé de Saint-Victor de Marseille, l’une des abbayes les plus influentes du royaume.
Sa réputation franchit bientôt les frontières de la France. En 1352, le pape le nomme légat pontifical auprès de l’évêque de Milan, puis auprès de la reine Jeanne de Naples. Sur le terrain, il s’affirme comme un médiateur respecté, agissant avec fermeté et sagesse.
Le 12 septembre 1362, le pape Innocent VI meurt à Avignon. Les 21 cardinaux du Sacré Collège peinent à s’accorder, aucun ne recueillant la majorité nécessaire. À la surprise générale, ils choisissent Guillaume Grimoard, en son absence, bien qu’il ne soit ni cardinal, ni évêque. Il reçoit la consécration pontificale à Avignon le 6 novembre 1362, et prend le nom d’Urbain V.
Même sur le trône pontifical, il conserve sa simplicité et son attachement à la vie rurale. Une anecdote célèbre raconte que, découvrant son nouveau palais, il aurait soupiré :
« Mais je n’ai même pas un bout de jardin pour voir grandir quelques fruitiers, manger ma salade et cueillir un raisin. »
Une remarque simple, empreinte de nostalgie cévenole, qui illustre bien l’âme de ce "gentilhomme paysan", fidèle à ses racines malgré les fastes d’Avignon.
Un pape bâtisseur et protecteur du Gévaudan
Malgré les nombreuses responsabilités liées à son pontificat, Urbain V n’oublie jamais son Gévaudan natal. Il reste profondément attaché à ses racines et agit avec détermination pour soutenir et embellir sa région.
À Bédouès, où il a été baptisé, il fonde une collégiale dédiée aux prières perpétuelles pour sa famille. Il finance personnellement les constructions, les ornements, les cloches et les livres liturgiques. En 1365, il crée une seconde collégiale à Quézac. Malheureusement, les deux édifices subissent les violences des guerres de religion : les troupes protestantes les envahissent, les détruisent et les pillent.
Ci contre la somptueuse chapelle St Saturnin à Bédoués.

Urbain V soutient également la ville de Florac, alors assiégée par les routiers : il fait ériger des remparts en y engageant ses propres fonds. Il aide de nombreux villages comme Montferrand, Fraissinet-de-Lozère, Saint-Privat-de-Vallongue, ou encore le monastère de Chirac, qu’il choisit de fortifier.
À Mende, il lance un projet monumental : remplacer l’église romane, devenue trop étroite, par une cathédrale gothique. Bien qu’il ne voie pas l’achèvement du chantier, il consacre à ce projet des moyens considérables. Dans une bulle, il affirme son attachement profond à cette terre qui l’a vu naître :
« Je porte l’église de Mende au plus profond de mon cœur, comme une fille préférée »

Un défenseur passionné de l’éducation et des savoirs
Urbain V promeut également avec ferveur le savoir. À Montpellier, il fonde le collège des Douze Médecins, destiné à offrir une formation gratuite aux étudiants en médecine originaires du Gévaudan. Il crée ou rénove des institutions à Bologne, Padoue, Paris, Toulouse, Orléans, Cracovie et Vienne. Il réforme les statuts de plusieurs universités pour garantir un enseignement plus équitable et accessible.
En 1363, il établit à Saint-Germain-de-Calberte un studium, véritable centre d’études. Il y offre aux jeunes un logement, de la nourriture, des livres (précieux et coûteux à l’époque) ainsi qu’un accompagnement pédagogique jusqu’à leur entrée à l’université.
Par ce souci constant de transmettre le savoir, par sa générosité éducative et son ouverture à la pensée humaniste, Urbain V incarne un pape visionnaire, respecté même des plus grands intellectuels de son temps, tel le poète Pétrarque.
Un pontife engagé, entre Rome, Avignon et l’héritage éternel
En 1367, encouragé par les Italiens et par le poète Pétrarque, Urbain V décide de ramener la papauté à Rome. Il quitte Avignon et s’installe dans la Ville Éternelle. Mais la situation politique se détériore rapidement. Épuisé par les intrigues, il choisit de revenir à Avignon en 1370. Il s’éteint quelques mois plus tard, le 19 décembre, à l’âge d’environ 61 ans.
Fidèle à son humilité, il demande à être inhumé simplement, à même la terre, comme un moine. Son tombeau, élevé à l’abbaye Saint-Victor de Marseille, attire de nombreux pèlerins. Détruit au XVIIIe siècle, il laisse aujourd’hui son lieu de sépulture exact inconnu.
Pour honorer sa mémoire, les Lozériens élèvent en 1874 une statue à Mende, grâce à une souscription populaire appelée « œuvre sainte ». Ce monument continue de transmettre l’image d’un homme sage, généreux et profondément enraciné dans sa terre natale.

Trésors et mémoire
Grâce à la générosité d’Urbain V, la cathédrale de Mende a longtemps abrité un trésor liturgique exceptionnel : chapes, calices, reliquaires, ornements richement décorés. Beaucoup furent vendus ou pillés au XVIe siècle, notamment pendant les guerres de religion, malgré les rappels du Saint-Siège sur leur inaliénabilité.
Aujourd’hui encore, la cathédrale conserve plusieurs œuvres majeures :
- Une Vierge noire mentionnée dès 1249, figure de dévotion locale.
- Des tapisseries d’Aubusson retraçant la vie de la Vierge.
- Un tableau italien primitif récemment restauré, représentant Urbain V qui, présente les chefs des apôtres Pierre et Paul.


Béatification et reconnaissance
Béatifié en 1870, sous Pie IX, Urbain V est considéré comme saint dans le nouveau calendrier liturgique publié par Paul VI, sans avoir été formellement canonisé.
Son héritage, fait de foi, de culture et de simplicité, continue d’inspirer le territoire et les pèlerins du Chemin Urbain V.